« Les nuisances résultant de la location de lots à des touristes pour des courtes durées sont des troubles manifestement illicites dès lors que le règlement de copropriété interdit toute occupation gênante pour les autres copropriétaires ; partant le juge des référés décide d’interdire aux sociétés de louer leurs lots pendant seize mois.
L’ordonnance de référé rendu par le Tribunal judiciaire le 12 mai 2021 (1) a été très largement commentée et a suscité de nombreuses réactions comme à chaque fois qu’il est question d’Airbnb…
Cette décision demeure toutefois prise en référé, c’est-à-dire que le juge ne s’est pas prononcé sur le fond du dossier, mais a agi face à un péril imminent, en l’occurrence, la préservation de l’immeuble et la tranquillité de ses occupants.
Cette décision est néanmoins intéressante, notamment pour les syndicats de copropriétaires et leurs syndics confrontés à des nuisances importantes liées au développement de la location de courtes durées, notamment dans les grandes agglomérations.
En l’espèce, il s’agissait d’un immeuble situé dans le 8ème arrondissement de Paris décrit comme un immeuble Haussmannien de standing.
Deux sociétés copropriétaires y exerçaient une activité de locations meublées de courte durée destinée à une clientèle touristique de passage. Elles proposaient ainsi à la location et à destination des touristes leurs lots, notamment sur les sites internet AIRBNB, HOTELS.COM et BOOKING.COM.
Estimant que l’exercice de cette activité était non conforme au règlement de copropriété, à l’état descriptif de division, et créait de graves nuisances, les copropriétaires réunis en assemblée générale ont décidé d’agir à l’encontre desdites sociétés afin de faire cesser les nuisances liées à ces locations de courte durée, en saisissant le juge des référés aux fins de voir ordonner la cessation par les défendeurs de leur activité de location saisonnière.
Les troubles et nuisances consistaient notamment en l’espèce en un encombrement des parties communes du fait des valises s’entassant dans le hall et les couloirs, la dégradation des parties communes caractérisée par la survenance d’infiltrations, la destruction des marches de l’escalier, la destruction du sol par les roulettes des valises, ainsi que l’abandon de déchets au sein de celles-ci.
Après avoir rappelé au visa de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 que la liberté d'usage et de jouissance des parties privatives est tempérée par le droit concurrent des autres copropriétaires et par l'intérêt supérieur de l'immeuble qui résulte de sa destination, et qu’il découle de l’article 8 de la même loi qu’un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l'état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance, l’apport principal de cette décision réside dans le caractère quasi-normatif donné par le juge aux stipulations du règlement de copropriété et notamment celles tendant à assurer la tranquillité de ses résidents.
En effet et alors, que le règlement de copropriété de l'immeuble stipulait en l’espèce que chaque ”appartement “et “chambre” peut être affecté à un usage bourgeois, professionnel ou commercial : l’activité commerciale était donc autorisée au regard notamment de la destination mixte de l’immeuble, le juge fonde sa décision sur la nécessité d’assurer la tranquillité des habitants de l’immeuble, et notamment sur les clauses du règlement de copropriété stipulant expressément en ce qui concerne les parties privatives que “Chacun des copropriétaires aura le droit de jouir, faire et disposer de ses locaux comme d’une chose lui appartenant en toute propriété, à condition de ne pas nuire aux propriétaires des autres lots et ne rien faire qui puisse compromettre la solidité des bâtiments, ni nuire à son esthétique [...] que l’occupation ne devra pas être dangereuse ou gênante pour les autres copropriétaires, entre autres par le bruit de la réception de nombreux clients”; Et en ce qui concerne les parties communes : “Encombrement des parties communes : Aucun copropriétaire ou occupant de l’immeuble ne devra encombrer les entrées, vestibules, escaliers, paliers couloirs ou toutes autres parties communes des bâtiments ».
Et le juge d’en conclure que « si la location saisonnière ou l’exploitation para hôtelière des lots en question ne saurait être regardée comme une violation des stipulations du règlement de copropriété, c’est dans la seule mesure où cette activité n’est pas gênante pour les autres copropriétaires, entre autres, par le bruit de réception de nombreux clients et ne porte pas atteinte à la destination de l’immeuble ; or il ressortait des débats plusieurs éléments de preuve attestant de la persistance et de la gravité des nuisances subies par les copropriétaires : tapage nocturne empêchant les habitants, et notamment la gardienne, de dormir ; insulte à l’encontre de cette dernière ; jeunes locataires fumant dans l’escalier, certains se droguant ; découverte d’urine dans le local poubelle ; jets de déchets dans la cour ; étalage de lingeries au balcon ; trace régulière de vomissements dans l’immeuble, etc.
Pour faire cesser ces troubles et nuisances liées à l’activité de location saisonnière, le juge des référés ordonne purement et simplement aux sociétés copropriétaires de cesser, pour une durée de 16 mois leurs activités de location saisonnière, exploitation para hôtelière, prestations d’hébergement fournies dans des conditions proches de l’hôtellerie, prestations d’hébergement para hôtelière au sein des lots concernés, le tout sous astreinte de 700 euros par jour et par infraction constatée par voie d’huissier de justice.
Le juge des référés renvoyant à juste titre la question de l’interdiction définitive de l’activité de location saisonnière dans les lots litigieux à une interprétation du règlement de copropriété comme relevant du seul pouvoir du juge du fond.
Reste donc à savoir ce que décidera le juge du fond, le gérant des sociétés ayant décidé de faire appel de la décision. Il est d’ailleurs probable que l’atteinte au droit de propriété des sociétés bailleresses soit considéré comme disproportionnée, puisque privées de leur droit de jouir de leurs lots librement ainsi qu’à leur liberté d’entreprendre, puisqu’empêchées de continuer leur activité économique.
Ce qu’il faut retenir de cette décision : l’activité de location meublée saisonnière des sociétés bailleresses nuisait aux autres copropriétaires et constituait donc une violation des devoirs généraux de comportement stipulés dans le règlement de copropriété. Le tribunal en déduit qu’il s’agit d’un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 (anc. art. 809) du code de procédure civile, ce qui lui permet de prescrire toutes les mesures nécessaires pour le faire cesser.
Source FNAIM -05/7/2021